samedi 19 mai 2018

IL Y A QUARANTE ANS, LA LEGION SAUTAIT SUR KOLWEZI

Le 19 mai 1978, le 2e régiment étranger de parachutistes sautait sur Kolwezi, mettant fin à des massacres de civils européens et africains. Montée dans l'urgence, lancée sur l'ancien Zaïre, cette opération est l'une des victoires les plus emblématiques de l'armée française contemporaine.


Le samedi 13 mai 1978, des nouvelles alarmantes parviennent du Zaïre, l'actuelle République démocratique du Congo. 

Dans la province du Shaba, l'ex-Katanga, des bataillons de «Gendarmes», rebelles originaires de cette région du sud du pays et entraînés en Angola par des conseillers cubains et est-allemands, ont franchi la frontière et se sont emparées par surprise de la ville de Kolwezi

Quelque 2500 Européens, en majorité des employés de la Gécamines, la société qui exploite les riches mines de cuivre et de cobalt de la région, et leurs familles, sont pris en otage ; plus d'une centaine sont massacrés.

Des rebelles ex-katangais préparent un coup de force contre le Shaba dont le cuivre fournit près des 2/3 des revenus du Zaïre. En mai 1978, ils s’infiltrent à partir de la Zambie et le 13 mai, 3 500 Tigres-commandos de Mbumba s’emparent de l’aérodrome de Kengere, coupant les communications de la cité minière de Kolwezi.

Cette ville de 40 Km²et de 100 000 âmes dispose d’un aérodrome et d’une station radio. Divisée en quartiers identifiables - vieille ville à l’Ouest, ville européenne à l’Est, Manika au Sud-est - Kolwezi possède un hôpital et un lycée.

3 000 occidentaux travaillent pour la Société Générale des Carrières et des Mines. A l’arrivée de rebelles, les forces zaïroises l’abandonnent. Des habitants sont abattus, d’autres pris en otage. L’ambassade de France à Kinshasa est alertée. Mobutu affirme à Paris qu’il contrôle la situation.

Mais que veulent les rebelles ? Piller et se retirer ou tenter un coup de force ? Mobutu semble incapable de faire face. Des interceptions font état d’exécutions sommaires à Kolwezi.

Dès lors, comment sauver les expatriés sans intervention militaire ? Et si l’on s’y décide, comment faire sans heurter l’opinion internationale ? Le 14, Mbumba déclenche une offensive. L’armée zaïroise étant en difficulté, Mobutu appelle à l’aide les occidentaux.

Le Colonel Gras (MMF au Zaïre) suggère une opération aéroportée au gouvernement à Paris. L’accueil de Bruxelles est réservé. Les rebelles exécutent pourtant les pro-Mobutu et les Blancs qui refusent d’être détroussés. Terrorisées, leurs familles se terrent.

Le 15, les exactions s’accélèrent. Le colonel Gras transmet l’ébauche d’un plan d’opération aéroportée (OAP).

Conscient de l’impossibilité d’un renfort après la mise à terre, il mise sur la surprise ! De toute manière, le temps presse.

Les Belges souhaiteraient se contenter d’évacuer les ressortissants européens. La journée s’achève sans qu’une décision soit arrêté. On estime que plusieurs centaines de rebelles ont déjà quitté Kolwezi. En effet, à Manika, il n’en resterait que 500 et quelques Cubains. Le moment parait donc opportun, mais il manque le courage politique pour lancer l’opération.

Au matin du 16, des parachutistes zaïrois sautent sur Kolwezi, d’autres progressent depuis Lubumbashi. Si les pertes gouvernementales sont lourdes, l’aérodrome est repris. Se croyant attaqués par des unités aidées de soldats européens, les Tigres massacrent les otages.

Devant l’urgence, le président Giscard d’Estaing décide d’intervenir. La France assurera l’OAP au plus près de Kolwezi. Puis la Belgique procédera à l’évacuation des Européens. Avec l’accord du gouvernement zaïrois, Londres enverra en Zambie quatre avions de ravitaillement, puis assurera le rapatriement des Britanniques.

Enfin, Washington gèrera la logistique. L’unité française qui est en alerte Guépard est le 2e REP. Seule unité parachutiste de la Légion, il a fait partie de la 11e DP, mais peut aussi être engagé comme l’infanterie traditionnelle grâce à ses véhicules. Le REP compte plus de 1 000 hommes. 

Commandée par le Colonel Erulin, cette unité professionnelle est adaptée à l’intervention. Mais il faudra réquisitionner des avions pour aller à Kinshasa. Pour le largage, six avions tactiques sont nécessaires ; la France n’en a que deux. Après avoir repris Kolwezi, les Français devront rétablir la normalité au Shaba.

Le 17, le délai d’alerte du REP passe de 72h00 à 06h00. Deux équipes du 13e RDP et une du 1er RPIMa sont envoyées à Kolwezi pour recueillir du renseignement.

Á 20h00, le REP achève ses perceptions ; dans la nuit du 17 au 18, son délai d’alerte est diminué de moitié. Sans en connaître motif, il se déplace vers Solenzara.

Le 18, le général Lacaze ordonne de délivrer Kolwezi. 4 DC-8 d’UTA et 1 du Transport Aérien Militaire emportent les légionnaires vers Kinshasa ; un 707 d’Air France transporte le matériel.

Les perceptions commencent en soirée et les compagnies sont briefées. Si les légionnaires ont le sentiment de réaliser un sauvetage et s’ils sont surentraînés, peu ont une expérience opérationnelle. En outre, les renseignements font défaut.

Les 700 hommes vont sauter à 250 m du sol sous le feu adverse.
Le 19 à 11h00, la première vague (405 h.) embarque dans des avions de transport, un Transall et quatre C-130 zaïrois. 
A 15h30, elle est larguée sur l’aéroclub.

Les parachutistes déplorent 6 blessés. Un isolé est tué. Le regroupement effectué, ils marchent sur Kolwezi où des charniers sont découverts.

Les clichés de Paris-Match légitimeront l’opération. Une colonne blindée est détruite par les légionnaires et plusieurs embuscades mettent l’ennemi en fuite.

La deuxième vague (250 h.) reçoit l’ordre de reporter son saut à l’Est de Kolwezi. Les Français se sont emparés des points clés, y regroupant 2 800 otages.


Le 20 à 06h30, la deuxième vague coupe la retraite aux Tigres. Les parachutistes belges facilitent l’évacuation, laissant le ratissage au REP.
L’après-midi, Kolwezi est libérée.

Transportant les Européens jusqu’à Kamina, les Belges les acheminent le 21 sur Bruxelles avec huit Boeing.

Fin juin, une force africaine assure la relève.

Malgré la fulgurance de l’opération  « Bonite », les Tigres ont tué 700 Africains et 170 Européens.

Le REP a perdu 5 hommes, les Belges 1, les Marocains 1.
La force d’intervention compte 20 blessés, l’armée zaïroise 14 tués et 8 blessés. 250 rebelles ont péri et 160 ont été capturés.
Les légionnaires ont détruit 4 automitrailleuses, saisi 1 000 armes légères d'infanterie (ALI),10 mitrailleuses, 38 fusils mitrailleurs (FM), 21 lance-roquettes d’origine soviétique (RPG7), 15 mortiers et 4 canons.


Si « Bonite » fut un succès militaire, cette opération d’évacuation inédite a provoqué des turbulences dans une région déjà bien troublée.

Par la suite, le départ des Européens a encouragé le pillage, et le tissu industriel s’est momentanément désagrégé.


A ceux qui ne sont pas revenu et qui ont donné leur vie pour pouvoir en sauver des centaines d'autres : SERGENT-CHEF DANIEL Norbert 20/05/78, (Métal shaba) - CAPORAL-CHEF ALIOI Youcef, 27/05/78 (Likasi) - CAPORAL ARNOLD Richard 20/05/78, (Kolwezi) - CAPORAL HARTE Jules 23/05/78, (Kolwezi) - LEGIONNAIRE 1er Classe CLEMENT Jules 23/05/78, (Kolwezi).



NOTA : 
Le Congo a obtenu son indépendance de la Belgique en 1960. En 1971, Mobutu le baptise Zaïre ; la province minière du Katanga devient le Shaba. Un accord de coopération militaire est signé avec la France en 1974. En 1978, les deux grands s’affrontent de manière indirecte en Afrique. Les Soviétiques y mènent une politique de déstabilisation grâce aux troupes cubaines d’Angola.

Pour en savoir plus :

Le film "LA LEGION SAUTE SUR KOLWEZI"

La légion saute sur Kolwezi est un film français de Raoul Coutard, sorti en 1980, relatant les opérations du sauvetage de Kolwezi en 1978. Le film est fondé sur le livre du même titre, de Pierre Sergent, paru en 1979


Le roman de Pierre Sergent publié en 1979.















lundi 7 mai 2018

7 MAI 2018 - 64e ANNIVERSAIRE DE LA CHUTE DE DIEN BIEN PHU

Le 7 mai 1954, à Dien Bien Phu, un camp retranché du nord du Vietnam, aux confins de la Chine et du Laos, une force française de plusieurs milliers d’hommes capitule face à l’armée populaire vietnamienne du général Giap qui en faisait le siège depuis plusieurs mois.


La défaite de Dien Bien Phu est une étape importante de la fin de l’Empire colonial français. L’historien Alain Ruscio la replace dans son contexte :
Dien Bien Phu morne cuvette. Dans l’imaginaire de bien des Français, la défaite tonkinoise a rejoint celles d’Alésia, de Bouvines ou de Waterloo. Avec, en plus, une dimension culpabilisante : Que diable allait f… l’armée française dans cette galère, à l’autre bout du monde ?
1953. La guerre d’Indochine dure depuis sept années. Le corps expéditionnaire français s’y est progressivement enlisé. Son adversaire, l’armée populaire, que les Français appellent le plus souvent Viet Minh, voire Viets, d’abord en difficulté, a repris l’initiative sur tous les fronts. En mai, le gouvernement français a nommé un nouveau commandant en chef – le septième ? le huitième ? on ne compte plus – un nouvel homme miracle, le général Navarre.
Celui-ci décide d’inverser la tendance par une initiative spectaculaire. C’est donc l’armée française qui a cholisi le terrain. Ce sera à Dien Bien Phu.
Seuls les spécialistes de l’Indochine connaissaient ce petit village du pays thai, au nord du Vietnam, avant le parachutage, le 21 novembre 1953, de milliers de soldats du Corps expéditionnaire. L’ambition du commandant en chef, est simple : il s’agit de « barrer la route » du Laos et de « casser du Viet » (l’expression court dans la presse pro-guerre). Pour ce faire, il édifie un camp impressionnant, sans doute le plus puissant de l’après Seconde guerre mondiale, autour de points d’appui, amoureusement baptisés de noms de femmes (Anne-Marie, Béatrice, Dominique…). Y affluent les meilleurs soldats français d’Indo, dont le célèbre Bigeard. Le camp est placé sous le commandemant du colonel de Castries, un cavalier, qui sera fait général pendant la bataille.
Il est de bon ton, aujourd’hui, de critiquer cette initiative. C’est oublier un peu vite que la quasi-totalité des militaires et des politiques français l’approuvèrent. « Le Commandement français est sûr d’infliger une sévère défaite au Viet Minh à Dien Bien Phu. Nous nous attendons à des combats durs et longs. Nous gagnerons » dit ainsi le général Cogny, adjoint de Navarre (Le Figaro, 13 janvier 1954).
Mais, face à l’armée française, il y a un tandem d’exception : Ho Chi Minh et Vo Nguyen Giap. Ho le politique et Giap le militaire. Ho le réservé et Giap l’impétueux. Surtout, il y a une majorité de la population, tous les témoignages d’époque en attestent. Pour l’indépendance, certes, pas pour le communisme. Mais une majorité.


Et une vraie armée. Ce ne sont plus des va-nu-pieds, comme au début de la guerre, que les Français affrontent, mais des soldats aguerris, entraînés, équipés, en grande partie par la Chine populaire – il est vrai que l’armée française, elle, est équipée à 75 % par les Américains…
La bataille ne s’engage véritablement qu’en mars 1954. Navarre a choisi le lieu, Giap choisit le moment. Navarre a édifié son camp au centre d’une cuvette, Giap a massé ses troupes sur les bords. C’est de bonne guerre.

Dès le premier assaut Viet Minh, c’est la stupéfaction. Deux des points d’appui réputés imprenables sont enlevés sans coup férir. Puis, c’est la piste d’aviation, intensément bombardée, qui devient inutilisable. De piège à Viets, la cuvette se transforme jour après jour en piège à Français. Rien n’y fait. Ni l’héroïsme indéniable des soldats du Corps expéditionnaire, ni les plans un peu fous de sortie en masse, ni les bombardements aériens (souvent au napalm) des lignes Viet Minh. C’est à un véritable Verdun de la jungleVerdun tropicalVerdun tonkinois (toutes expressions empruntées à la presse de l’époque) que l’on a affaire. Oui, mais un Verdun sans la voie sacrée, un corps sans poumon, destiné à mourir.
C’est chose faite, le 7 mai. Dialogue par téléphone entre les généraux Cogny, à Hanoi, et de Castries, à Dien Bien Phu :

« Mon général, situation grave, combats confus partout. Je sens que la fin approche. Nous nous battrons jusqu’au bout. 
-  Bien compris, bien compris, vous lutterez jusqu’au bout. Pas question de hisser le drapeau blanc, n’est-ce pas ? 
-  Non, nous détruirons les canons, le matériel et les postes de radio-télèphone. 
-  Merci ! 
-  Nous nous battrons jusqu’au bout. Au revoir, mon général. Vive Ia France ! »
Mais l’émotion n’empêche pas de réfléchir. A qui, à quoi a servi cette guerre, dont cette ultime bataille ?
La vérité est que l’affrontement d’Indochine n’a jamais été vécu par la nation française comme sa guerre. L’opinion, travaillée par un PC alors très actif, a même franchement condamné, et de plus en plus, cet engagement. Et les gouvernements successifs, dirigés par le MRP, le centre, le Parti socialiste, n’ont pas su, voulu ou pu donner à cette guerre une dimension nationale. L’anticommunisme en fut le seul aliment.
Les héros de Dien Bien Phu sont morts ou sont revenus traumatisés parce que les politiques n’avaient pas compris que l’ère des décolonisations était commencée, que le sentiment national – vietnamien mais, au-delà, de tous les peuples encore dominés – était devenu une force irrésistible qu’aucune armée ne pouvait briser.
Un peu plus tôt, un homme politique français avait, lui aussi, écrit un livre évoquant la bataille du Tonkin. Et avait trouvé une jolie formule : « La politique de force alla jusqu’à son terme en Indochine : ce terme s’appelle Dien Bien Phu ». Il s’appelait François Mitterrand (Présence française et abandon, 1957).
Que n’avait-il eu cette sagesse, au lendemain de l’insurrection algérienne, lorsqu’il déclarait : « La seule négociation, c’est la guerre » ? Il aurait évité à la France, non certes un nouveau Dien Bien Phu (il n’y en eut pas en Algérie), mais un nouveau rendez-vous manqué avec l’Histoire en train de se faire.
Alain Ruscio, historien

crédits photos : DR